Thursday, May 29, 2014

Salut Galarneau! - Un livre et son temps

Jacques Godbout: Salut Galarneau! Éditions du Seuil, 1967, 158 pages



            Salut Galarneau! est une sorte de conte de fée québécoise. Le nom du héros, François Galarneau, signifie, en Québécois, le soleil - le bon soleil qui réchauffe nos jours et fait pousser les arbres du forêt et la végétation vivrière des champs. François est scion d'une famille populaire - et plutôt farfelue - devenue bourgeoise. Frère Jacques est athée invétéré - donc, par définition, "sophistiqué", "moderne" - et écrivain pour Radio Canada. François est le frère - des quatre - défaillant. Il vend des hot-dogs (saucisses américaines servies sur pain avec condiments) au comptoir d'un autobus désaffecté converti en cuisine. Comme il le dit souvent: il n'a pas la tête pour les livres..

           En son vingt-cinquième année, sa femme Marise, le trompe et le quitte pour frère Jacques. François s'emmure en faisant élever des murs de blocs de ciment autour de sa maison. C'est évidemment un original..

           Cet étrange roman frôle le surréalisme sans, pourtant, jamais y arriver: la mémoire, la rêverie et le vécu s'y mêlent. Pour "l'huberlu" Galarneau, on sent qu'aucune de ces catégoire d'expérience l'emporte sur les autres. À la fin, à son 26e anniversaire, François se prépare à sortir de son prison / refuge / asile pour conter son histoire au monde par la parole écrite.

           Quarante-sept ans écoulé dépuis sa publication, il est tentant de "psychanalyser" le texte, d'y trouver le "portrait de son temps". C'est une voie légitime: Galarneau lui-même ne justifie pas son emmurement, son geste reste sans commentaire.

          Le héros est sans doute "symbole". Mais de qui? Et pourquoi? L'auteur projette sa volonté de s'imposer comme écrivain, comme intellectuel? Veut-il "représenter" la société québécoise en pleine mutation libératirice des années 60? Ces années-là le Québec trouvait sa propre voix nationale, commençait à valuer sa propre création culturelle et a s'affirmer comme puissance et présence sur les scènes politiques canadiennes et internationales.

          J'imagine Jacques Godbout, jeune intellectuel, écrivait cette fable comme un acte ou rite magique (dans le sens freudien) à fin d'hausser sa confiance en soi. Il voulait s'affirmer - voire se trouver - dans son rôle choisi d'intellectuel québécois engagé. En ce sens, Galarneau nous offre un "portrait robot" de l'homme - surtout l'homme intellectuel - contemporain urbain avec ses angoises, ses incertitudes, ses faiblesses avouées, sa quête d'"authenticité", d'amour, d'un sens à la vie. On voit dans ce texte aussi le désaroi de L'Occident, sa perte de repères, son flottement, son vide intérieur.

En épigraphe:

"Il fallut que Colomb partît avec des fous pour décrovrir l'Amérique. Et voyez comme cette folie a pris corps, et duré" - André Bréton

          Auteur Godbout, en bon gauchiste des années 60, s'en prend à la superficialité et la vacuité de la "culture" de consommation nord-américaine. Ce refus de culture donne au texte un ton "prophétique" pour les lecteurs d'aujourd'hui qui vivent la décomposition accélérée du monde capitaliste néolibérale: changements climatiques, épuisement des ressources, surpopulation, pauperisme mondial, intégrismes religieux et racials..

         En dépit des lectures ironiques que nous pouvons le prêter - et auxquelles il se prête volontiers - Salut Galarneau! est un livre de jeunesse, plein d'espoir et de fougue. Il dégage la folie, la libérté des années 60 et de la "contreculture" québécoise. C'est le livre d'un homme intellectuel, rélativement jeune et idéaliste, qui veut s'affirmer dans sa société tout en oeuvrant pour un meilleur monde. Cette impression se retrouvait dans une entrevue radio-diffusée récemment. Jacques Godbout, un souverainiste - qui veut faire une République du Québec - s'adressait au changements politiques survenus au Québec ces dernières décennies. J'avais l'impression qu'à l'âge de 80 ans, il est un peu déboussolé par ce monde électronique nous habitons aujourd'hui. Il sait plus où va le projet d'une République Québécoise. Les jeunes, ils se définissent comme Québécoise - oui - mais le centre de leur monde, c'est le monde entier, le monde interconnecté par l'internet à la vitesse de la lumière. Nous jeunes, dit-il, sont à la fois québécoise ET cosmopolite mais dans un sens que Godbout ne comprends plus. Pour lui, une Répulique Qubécoise indépendante serait cosmopolite (les gauchistes souverainistes de sa génération voulaient ouvrir le Québec au monde). Or, les jeunes sont devenus cosmopolites mais L'Indépendance politique a fortement reculé comme motif chez eux. Godbout a fini l'entrevue en affirmant, sur un ton moins assuré que celui de Salut Galarneau!, l'incertitude du monde.

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